Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

free.jpg

 

Ma libération… Maintenant je ne la goûtais même plus. Je serais resté un ou deux jours de plus si cela avait suffi à me raccommoder avec Jeff. Mais comme un gamin stupide, il s’était rencogné dans son pieu, celui du haut ; et refusait même de me regarder. Rien, je n’ai rien tiré de lui, ni un signe, ni un mot et je suis parti le lendemain sans le moindre au revoir. Seul Ibrahim m’a accompagné à la porte de la cellule, désolé. Et j’ai griffonné mon numéro de portable sur un bout de paquet de clopes

 

«  Attends que sa colère soit retombée, et qu’il m’appelle s’il a besoin. » Ibra a acquiescé d’un air sombre et m’a souhaité bonne chance. Des hourrahs derrière les portes m’ont accompagné le long de ma galerie, et cet escalier, que je rêvais de descendre pour de bon depuis douze jours, je le descendais à présent le cœur serré. J’étais mortifié de laisser tant de consciences là ; maintenant que je savais vraiment comment c’était. Et que j’avais essuyé un échec d’amitié immense.

 

J’ai retrouvé Marc à la levée d’écrou, lui aussi était songeur, étourdi. Il y a quelque chose de feutré et de parfaitement hypocrite dans ces lenteurs administratives qu’on vous impose avant la liberté. Il y a la boule au ventre ; et les effets personnels qui vous semblent étrangers désormais ; l’ancien blouson qui vous tombe sur le dos comme la peau fripée délaissée après la mue, et qu’il faut pourtant reprendre ; quelques salutations endormies pour la forme et enfin le jour qui coule, plein et entier, par la porte qui s’ouvre.

 

Et puis on est dehors, comme ça, éblouis. Marc me prend par l’épaule, je prends la sienne ; nous marchons ainsi et avec le soleil de juin je sens comme une sorte d’euphorie en moi se répandre. Sur le parking aride tremble un ciel infini et ils sont là, maman, Nolwenn ; Carl et Bastien qui ont pris du sursis à notre procès, ma petite sœur… Elle est venue coller contre mon ventre sa petite tête toute pleine d’affection inconditionnelle et elle me serre en silence ; des larmes plein les yeux. Derrière les grilles, deux gardiens nous regardent monter dans les voitures, partir. C’est fini, cela. Mais une part de moi-même est restée dans les murs.

 

C’est dur de retrouver la ville ; d’accueillir  tous ces sourires, ces embrassades à la maison, de manger une vraie entrecôte, de boire du vrai vin, du vrai whisky sur un moelleux au chocolat tellement exquis qu’on n’en soupçonnait même plus l’existence. D’être entouré d’un tel luxe de tendresse et de prévenance quand on a réalisé une seule fois à quel point d’autres en sont irrémédiablement privés. Que fait-il à cette heure Jeffrey ? Vers qui, vers quoi vont-ils, ses songes ? Pourvu qu’il ne fasse pas de conneries, et que très vite il sorte. Pourvu qu’Ibra le protège de lui-même. Il faut qu’il sorte seul.

 

Un mois sans Alban, il pourrait reprendre possession de lui-même. A moins que d’autres kaïras de Saint-Barge ne lui mettent le grappin dessus. Non, le seul qui sait le faire agir contre lui-même, c’est son frère. Il lui faut un mois de rémission, où peut-être Solenn pourrait l’aider…

 

«  Fred, tu veux que je reste cette nuit ? » La voix et le minois de Nolwenn m’extirpent de mon écheveau de conjectures. Quand je pense à la froideur qu’elle me témoignait avant que je ne parte. Elle trouvait que « cette manif anti-carcérale festive » c’était pas une bonne idée, et elle me faisait la gueule parce que malgré ses réticences, Marc et moi on s’y investissait comme des inconscients. Maintenant j’ai compris. Que taule et fête ça va pas précisément ensemble ; mais ça veut dire que j’ai aussi perdu ma folie et mes rêves.

 

«  Oui, s’il te plaît reste. » Mais je crois qu’elle n’a pas même attendu ma réponse avant de s’engouffrer dans la salle de bains et de ressortir en peignoir, avec un verre d’Hextril dilué à la main ! Tout me sera donné ce soir ; et j’ai tellement faim de tout que je vais tout dévorer, égoïstement ; en dépit de ma dent perdue.

 Je tremble d’empoigner à nouveau ses cheveux d’une seule main dans la nuque et de manger à nouveau, longuement ses lèvres ; je tremble de sentir à nouveau cette vague charnelle qui ne nous avait pas emportés depuis bien longtemps tant nous étions devenus distants l’un à l’autre. Je ne penserai à rien qu’à ses jambes refermées sur moi et au balancement infini de nos hanches.

 

Ce soir, plus de ces idéaux altruistes qui m’ont fait si mal. Comme dirait Jeff, il faut « éteindre le cerveau ». Mais si je pouvais même arrêter de penser à ce branleur !

Tag(s) : #Viva V.
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :