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«  Mais pourquoi tu me fais la gueule, maintenant ?!! Merde, c’était pas prévu, d’accord… mais t’as  fait quoi tout à l’heure pour m’empêcher de signer ?
- Tu choisis ta route ; je choisis la mienne. Je vais faire mes études.
- Quand est-ce que je me suis opposé à ça ? Je pensais simplement que tu pourrais les faire à Paris ; parce que même dans trois mois et même si ce film est une catastrophe, je retourne pas à Saint-Barge.
- Tu étais pourtant prêt à le faire ce matin…
- Non Madame, ce que je voulais c’était foncer à Vivonne. Samuel il m’aurait eu un parloir rapidement avec Alb ; et après on aurait avisé…
- T’es pas un peu perdu, là ?
- J’ai pas eu ma chantilly ce matin, ça me perturbe le métabolisme.
- Rien ne t’empêche de la commander ; j’imagine que tu vas te permettre d’être un peu capricieux, maintenant.
- Et toi, t’as pas envie d’être capricieuse ?
- Juste avec toi. Je veux te demander un truc, pour quand je serai de retour là-bas.
- Mais tout ce que tu veux…a-t-il fait en levant les yeux au ciel. Encore une fois, dis-moi ce que je t’ai déjà refusé.
- Ce parloir avec Alb, permets-moi de l’obtenir ; et de l’assurer. »

 

Jeff a poussé un long sifflement.

 

«  Putain, ça c’est du caprice ! J’y crois pas Riv’ ; on est face à Paris by night dans un décor de rêve, on peut plonger dans un jacuzzi de malade, bouffer au champagne si on veut ; et tout ça aux frais de la prod qui parie sur moi ; on a une baraka énorme d’un seul coup et toi tout ce que tu veux, c’est aller en taule tchatcher avec un mec qui a failli te saigner ?
- Ton frère, Jeff ; qu’est-ce que tu veux qu’il me fasse là-bas ?
- Te vexe pas, qu’il soupirait en m’asseyant dans un Voltaire, mais c’est pas parce qu’on sort ensemble depuis deux mois que t’es armée pour tout… Te pointer à son parloir, c’est d’autant plus une provocation que Diane rêve de te customiser au cutter .
- Ca fait peur, ça !!! ai-je rigolé.
- C’est une façon de parler ; économise ton imagination pour nous deux. J’ai promis pour le mandat-cash et je tiendrai parole. Et c’est moi qui vais lui parler.
- Donc, tu me refuses quelque chose ?
- Mais pourquoi est-ce que tu t’obstines ?
- Parce que toi tu es déjà en train de lâcher. Je n’ai pas peur, Jeff, parce que je crois en vous deux. Et j’espère que Diane va me suivre. »

Le lendemain, j’ai pris mon train, éreintée. Il m’a dit « Donne-moi du souffle » , et je suis montée sans respiration. Il ne résistait plus pour Alb, mais il m’attendait au virage. Et il s’imaginait bien quel arrachement c’était pour moi d’entreprendre à nouveau tout sans lui. Je pensais aussi à lui, bien sûr, mais j’avais énormément de confiance en ce qu’il ferait ; parce qu’il jouait les choses pour nous tous dans ce nouveau rôle. Alors je lui avais donné mon souffle, à pleine bouche sur le quai, sans retenue et sans compter, et lorsque j’ai regardé à nouveau par la vitre, lorsque le départ a fait glisser la voie, il était déjà parti.

 

Comme le garçon très pâle qui avait fait irruption dans le bureau de l’adjointe, le jour où j’étais arrivée dans ce collège, pour mieux me voir et qui s’était fait renvoyer juste après. Comme celui qui m’avait rageusement sortie du fleuve et qui s’était fait incarcérer juste après. Une image , fuyante ; un visage, mémorable ; une personnalité qui ne lâchait rien mais en laquelle j’avais vu ,dès la première apparition , mon unique chance de bonheur sur cette terre. Dévorant paradoxe.

 

Ce n’étaient pas deux mois de Jeff, à Saint-Barge, sur la plage, dans le camion, dans les studios ; pas uniquement. Il était en moi depuis quatre ans, depuis cet instant  où il frondait déjà l’autorité ; il n’avait pas cessé de reparaître, de s’imposer. Pourquoi ? Je n’avais de goût particulier ni pour la désobéissance ni pour le combat. Je me sentais à peine l’âme d’une résistante ; mais avec lui j’avais eu envie de prendre les armes. Contre quoi ? Sans doute pas l’injustice, ni les condamnations péremptoires de la Société. Mais contre la médiocrité, contre l’ennui, contre la torpeur établie, le langage convenu, tout ce que l’Homme s’entend à tisser pour engluer l’Homme. Jeff devait être né dans son armure, mais sans chaînes.

Tag(s) : #Midnight Parlor
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