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«  Salut River… qu’il m’a fait d’un air onctueux.
- Putain v’là le reste… soupirait Jeff. T’as amené ta meute ?
- C’est à c’t’heure-ci qu’tu viens taffer, bouseux ? Ils sont bien véner en haut, tu devrais monter voir…
- C’est toi que je monte… avant de me casser ; ça te va comme ça ? Ou tu vas me lâcher tes pitbulls ? »

 

Les mecs ont tous rigolé mais moi j’en menais pas large. Pourquoi Jeff se faisait-il un devoir de toujours chauffer les gros bras ?


« Si tu te casses maintenant, oui ; ils vont t’exploser dans ta fake hebs , pauvre zoulette de Vivonne… C’est quoi ce nom de prison-là, bâtard ? Ça fait pas sérieux. Une bande de guignols incarcérés qu’on nique tous, ouais !
- Tu vas essayer avec celui qui partageait ma cellule, et on verra… Bon, c’est pas que je me fais chier, A.S.E.N  ; si on doit se gouacher on le fait maintenant parce qu’après je trace ma route et je vous laisse à vos rivalités de chiottes. Ce film va être une pure merde que j’irai pas voir. Eux, ils ont peut-être été en taule, mais toi ? Et Barney et Giulia ils y connaissent quoi putain ? Quand ça va passer à la télé mon frère il sera encore en cellule et zarma il va gerber de rire en vous voyant tous patauger ; j’associe pas mon nom à ce fail ; moi !
- Ton frère est en taule ? C’est nouveau ?
- De cette nuit, connard. Je me tire à cause de ça.
- Pitoyable, tu crois que ça va le libérer ?
- Mais qu’est-ce que ça peut te foutre, bordel ?
- T’es stressé, fillette. T’es victime, là ; ça me coupe l’envie d’ te hagar. Quand je pense qu’ils voulaient que tu me donnes la réplique…
- Qui a dit cette connerie ?
- Moi, jusqu’à ce matin. C’est pour ça que t’étais venu, non ? Pour monter sur le ring avec les grands ? T’as pas les yeuks maintenant qu’on te le propose…
- Je garde mes yeuks pour la réalité, tu vas pas m’embrouiller avec ça.
- Et ta meuf, tu crois qu’elle a envie de finir avec un SDF ?
- C’est notre problème. Bon on fait quoi là ? On se frappe ou on prend la tisane ? J’commence à être chaud; on va dehors de bonhomme à bonhomme, A.S.E.N  et tu bouffes le goudron, pas de temps à perdre ! »

 

Les autres gars étaient littéralement morts de rire ; mais un rire estomaqué. Le plus massif a pris la parole entre ses larmes :

«  Ca va écureuil ! T’es pas très grand, t’es pas très gros mais t’es un personnage … Réfléchis à ce qu’il te propose, A.S.E.N . Tu peux crever l’écran, parole !
- C’est pas pour moi toutes vos bouffonneries. Les seules fois où je suis monté sur une scène j’ai été catastrophique…
- Tu te pisses dessus, ouais ; tu veux pas relever le défi.
- Mais lui, il connaît le monde dont on parle, A.S.E.N .
- Sauf que le flow du Poitou, ça dégoupille pas les punchlines. Relève le défi pour ta meuf, partage l’affiche !
- Et la regarde pas, lui demande pas un mot d’autorisation. »

 

On est tous montés. J’avais peur que ce soit un guet-apens mais c’était même pas une mystification. L’horrible cellule était inondée de la lumière des projos, les lits superposés couverts d’un drap blanc où s’alignaient des coupes et ils étaient tous en train de boire, Giulia, Barney, Léna, l’ingé du son. De boire au nouveau rôle, au codétenu qui manquait jusqu’alors…

 

Jeff et moi étions complètement dépassés, c’était donc ça la vengeance ? L’incarcérer à nouveau dans une fiction scénarisée, au milieu de ces dégénérés qui se saoûlaient sous les sunlights ? A tout prendre, je préférais encore la faconde volcanique des rappeurs à l’hypocrisie de Léna qui m’a bien montré sa robe blanche en me servant un verre.


«  Crains pas cette bitch, m’a glissé un des acolytes de A.S.E.N ; on aura l’œil sur elle.
- Mais y a vraiment du business à faire sur ce coup-là ?
- T’es naïve ou quoi ? Ils l’ont vu dès le premier jour… Pourquoi tu crois qu’ils l’ont laissé construire sa geôle ?
- Il est capable de presque tout, mais ça…
- Eh, t’es sa wife ou quoi ? Alimente le fly-tox qu’il a dans les veines, ce bouffon. Il doit faire rire et il doit faire peur un peu aussi. On lui demande même pas de devenir un boss. 
- Il vient d’un autre monde que le vôtre, même si le degré de misère est comparable. C’est quoi ton nom déjà ? »

 

Asim, le Défenseur. C’est sous sa garde qu’on a pris nos quartiers dans l’hôtel des VIP, après les premiers essais, avec Allan pour qui on avait négocié une chambre. Un dôle de moment vu qu’on sortait de plusieurs semaines entassés dans son camion. En découvrant nos 60 mètres carrés dans les rideaux, les stucs et les plantes vertes ; Jeff avait toujours son air buté, incrédule, avec les poings enfoncés dans les poches. On lui présentait peut-être un costume trop grand, mais le connaissant il l’enfilerait sans ménagement et il ferait le con avec. Ce n’était pas vraiment cela qui me faisait peur. Il fallait le laisser, dès le lendemain ; je ne supportais pas l’idée de louper les premiers cours aux Beaux-Arts et de vivre ici dans l’espoir de me faire entretenir.

Tag(s) : #Midnight Parlor
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