Ils L'oNt ViréE (tHieRRy)

Ils l’ont virée de leur mémoire pour mieux se replier sur leurs principes, et malgré tous leur discours de bobos d’un autre âge, ils l’ont virée pour soigneusement éviter de voir que la société, le monde même autour d’eux était en train de changer. Et ils s’étonnent maintenant que leurs propres gosses leur chient dans les bottes et ne s’estiment redevables de rien ! Qu’on ne soit pas à l’image de Stéphanie, tu sais, la sœur aînée de Charlotte ; celle qui vit dans le plus obscur du vingtième siècle, consciencieusement abonnée à Libé mais qui fait une bonne petite école de commerce, qui se marie avec un parfait blaireau, qui calcule son petit crédit pour sa petite baraque sur plans avec piscine… Bordel, j’ai quand même le droit de ne pas vouloir d’une existence de merde comme la sienne !
- Mais pourquoi tu n’as pas claqué la porte, alors ? Je veux dire, beaucoup plus tôt ?
- Parce que quand Lew s’est barré lui aussi je n’avais plus personne en qui croire et que mon père est revenu vers moi. Pour tenter de me rendre à sa raison. Et puis, dans le cercle de Lille, qui est-ce qui restait ? Une bande de lopes inconséquentes à dilater, un cynisme de pacotille. Rien d’autre à faire que de mener ma barque en espérant partir à mon tour.  C’est bien beau de savoir ce que tu es avant tout, mais quand plus personne n’est là pour partager tes convictions ; tu t’enfermes…
- Mais c’est fini ce temps-là, Alex, tu vas partir !
- Ouais, je vais partir. Viens avec moi. »

Cette petite phrase, une injonction, une prière, je l’avais entendue. Et elle se répétait dans ma conscience, et tout autour dans la chambre, comme enfermée dans des dizaines de bulles qui éclataient tour à tour. Je m’étais levé, j’étais allé à l’armoire. Il y pendait toujours deux paréos à fils d’argent et la longue robe noire translucide que j’avais volée à Lucille.

« Envoie-les péter, ces vieux barbons de ta fac, qui peuvent pas souffrir la vue du vernis sur tes ongles. Tu as été admissible, inscris-toi à la Sorbonne. »

Je l’ai sortie sur son cintre, et serrée contre moi. Mes doigts glissaient sur le ruban frissonnant qui en laçait le dos.