Corolle en fièvre (Al)

Deux univers sont donc clos pour moi, de façon presque hermétique ; l’amour vivace entre Charlotte et Alexandrine ; l’Association transgenre où Thierry officie. Elle se manifeste de plus en plus largement hors des mercredis soirs où il y va. Mais moi, je n’ai droit qu’aux récits du lycée, aux interrogations du pédagogue, aux portraits amusés ou poignants des élèves qui infiltrent bon gré mal gré sa conscience affective. C’est important, mais je sais bien que ce n’est pas l’essentiel, pour lui.

Il y a juste ce petit matin de Novembre, où je rentre de Cochin. Il fait nuit noire, et Corolle est allongée sur le canapé de notre « living », en nage et grelottante de fièvre. Seule la lueur d’un  chevet amené là souligne les ombres sur le visage penché de Théolinia, comme celui d’une pietà.  

Vivement, elle se redresse en me sentant à ses côtés. C’est que depuis tout petit, j’ai pris l’habitude d’entrer dans les pièces sans faire de bruit.

« Thierry est en train de dormir à côté…
- Vous avez pris sa fièvre ?
- Quarante quand on l’a amenée hier soir. Ça descend un peu, Thierry a trouvé du doliprane 1000. Vous croyez que ça peut être leur grippe, là, la H5N1 ?
- Ça ou une saisonnière … De toute façon il faut consulter, Théolinia. Et tu peux me tutoyer, je n’ai pas encore autorité pour poser le moindre diagnostic. En attendant fais-la boire, autant que possible ; et repos absolu pendant au moins huit jours. S’il n’est pas nécessaire de l’hospitaliser…
- Alors ça pas question tu m’entends ? Pour qu’on la fasse chier sur sa médication hormonale… Et puis huit jours sans rien faire elle tiendra pas. Tu peux vraiment pas donner un truc pour qu’elle soit sur pied disons ce soir et on va crécher à l’Asso…
- Elle ne bouge pas d’ici. »