"Je chante le chien crotté, le chien sans domicile ..."

20 Octobre, entrée dans les frimas je ne saurais que trop conseiller de lire ou relire Un hiver avec Baudelaire signé en 2009 par Harold Cobert, bordelais d'origine; également auteur  du Reniement de Patrick Treboc (2007) et de l'Entrevue de Saint-Cloud (2010).

Ce roman est de ceux qui vous happent du début jusqu'à la fin, et quoiqu'écrit à la troisième personne, il vous fait adhérer aux effarements , à la honte mais aussi à la formidable volonté de Phillipe, un papa extraordinaire qui , par un caprice du destin se trouve progressivement privé de tout. De sa femme qui le rejette obstinément, de son foyer, de son travail, de son "ami" Jérôme, du regard même de ceux qui l'entourent.

Et jusqu'à l'adoption providentielle de Baudelaire le chien, au coeur de l'hiver, la descente de Phillipe est faite de mille pertes, des plus terribles aux plus insidieuses, les habitats de plus en plus sordides jusqu'à la rue; (moins effroyable pourtant que le Centre d'Accueil  et d'Hebérgement aux Personnes Sans Abri, le CHAPSA de Nanterre; "la fin du monde"), la carte de crédit avalée, le pécule qui se réduit entre les mains, les chaussures et chaussettes volées pendant la nuit, la propreté corporelle constamment menacée, le souffle et la vigueur qui s'étiolent.

Et pourtant Phillipe tient, il tient en dépit des mesquineries , des luttes de territoire, des coups qui lui sont sans relâche portés par son ex-épouse Sandrine (la vraie "femme sans coeur" qui parsème notre littérature) et sa belle-famille Versaillaise; du froid mordant qui s'installe, de la profonde solitude qui semble bientôt irréversible. Il tient, même si son quotidien devient un égrènement implacable d'infinitifs; des fondamentaux de dignité "Rester digne. Ne pas devenir fou. Uriner. Compter les jours. [...] Dormir. Rester propre. Déféquer. Ne pas mourir. Changer de chaussures." page 131 à ceux de survie "Se réchauffer. Marcher. Chier. A vot'bon coeur M'sieurs Dames. Rester Homme. Pas virer cinglé. Pisser. Compter jours. " page 174.

Phillipe s'est alors mis à boire, il en a oublié la seule résolution qui lui faisait tenir et enchaîner , machinalement, toutes les autres:  "Penser à Claire"
Claire, sa fille, sa princesse, que depuis la cinglante rupture il n'a vue que quelques instants à la sortie de l'école; à qui dans les pauvres minutes téléphoniques qui lui étaient accordées il continuait de raconter la même histoire.

Le Prince des Etoiles et la Princesse de l'Aurore, un de ces contes d'explication qui donnent lieu aux plus jolis albums de l'enfance, un peu dans la veine de l'Heure vide ou des Racommodeuses de Coeurs brisés. Cette histoire entre Ciel et Terre reste leur lien.
Mais l'alcool lui a fait oublier Claire, dès lors il ne peut que sombrer.

Pas clamser

Pas crever

Pas congelé
Pas la gueule ouverte

Pas comme un clebs

Un clebs ? On se plaît à l'imaginer, Baudelaire; bonne truffe, oeil luisant, oreilles frémissantes. Il suit son élu, joue même dans la détresse, tient chaud. Il était déjà apparu deux fois , dès le début de l'errance; mais tout à son malheur Phillipe l'avait chassé. Baudelaire le sauve d'une agression et ne le lâche plus d'une semelle. Dès lors, les choses à nouveau s'éclaircissent, à commencer par le regard des gens qui le rencontrent; car avec ce compagnon l'infortune devient presque un état de grâce célébré par la poésie . Baudelairienne bien sûr, en référence aux "Bons Chiens" dans le Spleen de Paris.("de nos deux misères/Nous ferons peut-etre une espèce de bonheur")

Un roman lumineux.