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Quand le soleil inexorable est venu envahir à nouveau notre repaire maritime et secret, dévoilant les corps échoués, une béquille gisant sous leurs pieds croisés ; les fringues entremêlées en tas un peu partout ; tout avait une allure de fin, ou de début du monde. Dans mes rêves j’avais encore eu la tête pleine de musique et cela continuait là, sans aucun appareil. Exhumant ma cafetière à poussoir et mon camping gaz, j’ai entrepris de bricoler un petit déj, et les sons me parvenaient comme par miracle.

 

Depuis trois semaines je tentais en vain de composer un truc pour un tournage où je voulais me faire embaucher ; et ils me demandaient des partoches que j’avais été incapable de leur fournir parce que mon imagination sonore était tarie. Là, j’avais des restes de boîte à rythme remontant du mariage, les hoquets de mon camion, les longs chuintements de la route, la clameur continue de l’océan, la voix de River, et les soupirs matinaux pour matière. Mon esprit était ouvert aux milliers d’harmonies qui avaient cours autour et en moi. J’avais juste à choisir, et à mélanger. A ordonner ensuite, mais cela viendrait plus tard. Car les frottements sur le corps de River prenaient toute la place, avec la fumée d’arômes montant de ma cafetière.

 

Je me concentrais sur cela, uniquement sur cela, jusqu’à ce que rythme et touffeur implosent sur le papier que j’avais pris. Pour figurer la tension dramatique ; je prenais la tension du désir. Des cordes. Les innombrables bourdonnements d’insectes au-dehors, au-dedans ; les froissements de tissu, des cheveux blonds, des cheveux châtain les uns dans les autres. Je les écoutais plus que je ne les regardais et mes mesures jaillissaient l’une derrière l’autre. Un saxophone étouffé, mais opiniâtre.

 

Fred a été le premier à ouvrir les yeux ; et à partager avec moi le premier café sur cette terrasse d’où l’on voyait l’Atlantique tout bleu et transparent se dérouler infiniment sous le ciel aveuglant. C’était très pur. Dans cette atmosphère dépouillée et sous la lumière crue, le goût de ce café improvisé explosait au palais, comme nouvellement découvert. Tout aurait ici une forme d’intensité austère. Ce serait le lieu où ils réapprendraient à vivre.

Alors que nous parlions du Velvet, du Garage Rock que nous aimions et de notre goût commun pour les cordes de Archie Bronson Outfit ; Jeff a émergé et il est venu se joindre à nous en caleçon parce qu’il brûlait déjà de se refoutre à l’eau.  


«  C’est tellement linéaire et bleu, soupirait Fred, extasié. Comme si on se réveillait en plein surnaturel, ou sur une autre planète.
- Tu pensais pas qu’on verrait un truc pareil ensemble il y a deux mois, pas vrai ?
- Je n’espérais plus du tout de paysage sans limites quand j’étais enfermé. J’avais perdu la notion des espaces tout ouverts où la vue se perd, et pourtant c’est ce que j’aime le plus dans la nature.
- Moi aussi. Je pourrais marcher pendant des jours, et maintenant encore plus. L’idée de tracer droit devant moi  et de jamais me heurter à rien ça me monte en l’air.
- Tu partirais en mer, Jeff ?
- Si j’avais le choix, je préfèrerais le désert. Alb et moi on s’est imaginé en Australie ; avant que notre histoire elle tourne mal. »

 

Il a baissé le nez, on le sentait soudain sincèrement, lourdement triste. Alors j’ai balancé mon jean et me suis retrouvé en calebutte comme lui ; aussitôt Fred m’a imité et on a tous trois foncé vers le grand vitrail aquatique qui miroitait en son ample ressac. Tout excités que nous étions de nous mesurer aux flots virginaux, nous sommes entrés direct dans la masse bien fraîche qui se soulevait paresseusement autour de nous pour aussitôt reprendre sa forme en nous enserrant jusqu’à la pointe des orteils. Ainsi nous avancions tous trois, baignés en plein midi de cette clarté édénique qui nous réunissait dans une volupté étendue même au-delà du monde. 

Tag(s) : #Midnight Parlor
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