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Dix ans de bons et loyaux services à mes pieds, régulières, résistantes, voilà une décennie, les jumelles, que vous endurez les bourrades des trottoirs, les flagellations de la pluie, les coups sournois des coins de chaise, parfois même la morsure de la neige.
Je vous ai traînées à peu près partout; en ville, en classe, dans la boue d'un haras, entre les roulettes des bagages, en gare, à l'aéroport, sur le bitume, sur le gravier, dans l'herbe haute. Ah, j'oubliais, sur la plage, aussi!
Talonnées juste ce qu'il faut, assouplies à merveille, la plupart du temps je vous oubliais toutes deux, alors que vous saviez me grandir, que je déambule dans la rue ou que j'aille donner de la voix.
Aujourd'hui, la décennie révolue, c'est surtout Cymbeline, à droite, qui donne des signes d'épuisement. Son cuir de chocolat glacé par endroit fendille et s'entaille; par ses brèches d'usure, je commence à ressentir le vent.
Si ce n'était que mon inconfort, je passerais facilement outre; Cyrielle à gauche brave les ans et les intempéries sans donner aucun signe d'érosion rhédibitoire. Mais pour Cymbeline, les choses commencent à se voir... Et je ne peux aller ainsi professer, malgré mon attachement aux accessoires qui ont vécu !
Allez, il vous reste la forêt, l'humus, la fougère, le sable, quelques dimanches à la promenade...
L'idée seule de vous mettre au rebut me rebute. Ce sera donc une semi-retraite au vert, et je l'espère au soleil.
Mais je n'ai pas trouvé encore qui vous remplacera , et la tâche sera rude! Gageons que j'aurai un peu de mal à me retrouver si bien chaussée qu'avec vous deux...