Ces journées auraient pu refonder notre Union sacrée, il doute.
« Sans elle c’est difficile de continuer à rien croire. » Comme Thierry avec Théolinia, ou Gillian avec Corolle. Qu’est-ce que je pourrais faire pour Charlotte et Al ? M’offrir. Un passage à tabac dans les règles. C’est la mode ces temps-ci. Une idée soudaine qui me flanque la frousse et m’exalte. Oui, ils se reprendraient bien la main au-dessus de mon lit d’hôpital.
« Lew ? » gémit-il.
« Tu ne dors pas, Al ?
- Viens. »
Je me glisse contre son corps tremblant.
« Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Ne va pas à cette manif.
- Mais Greg me l’a demandé, dear, c’est mon job.
- Pour quoi faire ? « Trouver l’inspiration » ? C’est un truc de pervers, Lew, n’y va pas. Tant pis si le combat est perdu. On peut se marier ailleurs qu’en France.
- Mais qu’est-ce que c’est que ce délire ?
- Je viens de faire un rêve atroce. Ne m’oblige pas à le raconter. Toutes mes trouilles y sont remontées comme des excréments. Personne ne doit y retourner, ça a déjà failli tourner mal la dernière fois.
- Al, on s’est juste retrouvés emmazoutés dans une marée de cons, c’était pénible parce qu’il a fallu se tartiner pendant deux heures de plus tous les poncifs de ces guignols en rose ; rien de plus.
- Mais ça va crescendo, des poncifs on est passé aux injures en un rien de temps. Alexandrine m’a envoyé un SMS cet après-midi, elle et Charlotte se sont fait traiter de « sales gouines » à la piscine, par d’autres filles.
- Si les nanas se mettent à être aussi décérébrées que les mecs, c’est pas trop bon signe, je te l’accorde.
- T’es beaucoup trop léger, Lew, je t’assure…
- Alors je peux te grimper dessus ? »
J’essaie, mais c’est pas trop fructueux, d’être aux prises avec un as de la lutte gréco-romaine. Pour me faire étouffer dans l’oreiller, je ne fais jamais mon difficile. Et puis ça le recharge. Je me retrouve dessus, en-dessous. On se bagarre comme il y a dix ans, à la fois vaches et amoureux, je crois qu’on a rien perdu, ni de nos bravades, ni de nos fous rires. Alors ça vaut bien le coup de provoquer leur colère, aux figures de proue des tyrannies passées.
Nos corps s’abreuvent, nos cœurs sont haletants, au bord de la rupture, quand une voix affolée passe par notre fenêtre. Il est quatre heures et quart, et c’est Corolle qui crie, en bas, dans la rue. Alex se lève d’un bond, ouvre les vitres en grand et paraît à son balcon, le drap entortillé sur ses hanches nues.
« Alex, il faut que tu viennes, Thierry vient de se faire agresser. » Corolle déborde de peur en parlant.
« Il est en réa à Bicêtre. Par pitié dépêche-toi. »